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Le Conflit du Sahara : Histoire, enjeux géopolitiques et négociations

Entre l’Histoire, le droit et la diplomatie se glisse la Mémoire. Celle des peuples, des hommes et des causes rangées dans les oubliettes et sous la poussière de l’indifférence. C’est le cas du conflit du Sahara (marocain ou occidental), qui s’est émietté entre la Marche verte, les confrontations militaires entre l’armée marocaine et les milices du Polisario, la longue liste des résolutions stériles de l’ONU et finalement son enlisement dans les sables mouvants du Sahara.

Entre déterminisme géopolitique, dégâts collatéraux de la guerre froide, diplomatie des valises, postures idéologiques, surenchères des intérêts, statu quo et guerres par procuration, le conflit du Sahara est le plus vieux contentieux en Afrique qui dure depuis près d’un demi-siècle. Chacun campe sur sa position et sur ses revendications. Les uns ont fait valoir la prévalence du principe d’allégeance, les autres ont avancé le droit des peuples à l’autodétermination. D’autres ont fait valoir le principe de la souveraineté et l’intangibilité des tracés des frontières, héritées de la période coloniale. Certains proposent le statut d’autonomie élargie à la minorité sahraouie. D’autres, plus radicaux, s’accrochent bec et ongles, à la création d’un nouvel État, alors que cette hypothèse n’est ni viable, ni réaliste, ni crédible au regard des risques et enjeux sécuritaires dans le Sahara.

Le conflit ne date pas de 1975, mais trouve ses racines historiques lors du démantèlement de l’Empire chrétien, conséquence de la conférence du traité de Berlin en 1884. Une conférence qui a amputé le Maroc et, in fine, sa souveraineté sur vaste territoire, allant jusqu’à la ville de Saint-Louis au Sénégal, réduit, au fil du temps en peau de chagrin. La France et l’Espagne portent une grande responsabilité politique et éthique dans ce conflit. Ironie de l’Histoire, l’Algérie qui fut marquée, plus que ses voisins du Maghreb, par les empreintes génocidaires de la colonisation, est devenue le chantre de l’intangibilité des frontières, dessinées à la règle et à l’équerre, par le colonisateur. 

Au-delà de la prédation des empires coloniaux, du pillage des richesses naturelles du Sahara depuis 1884, des essais atomiques à ciel ouvert au frontières maroco-algériennes, de la servitude des peuples autochtones par d’autres, prétendument civilisatrices, le Sahara a été victime d’un écocide culturel et d’une destruction préméditée des bibliothèques de la ville de Smara et de la matrice anthropologique de la texture tribale propre au Sahara. 

Dans ce contexte tragique, un homme s’est soulevé contre les deux puissances coloniales et a livré plusieurs batailles pour libérer son peuple. Il s’agit de Cheikh Maae El Aynine, appelé le Sultan bleu. Un homme érudit, pieux et vaillant combattant de la liberté qui s’est dressé contre la fatalité, tout en restant fidèle et loyal aux Sultans du Maroc. Sa dernière bataille fut livrée contre le colonel à la tête de l’armée française, Charles Mangin à Sidi Pour Othman, prés de Marrakech. Ses enfants ont repris, après sa mort, le flambeau et ont infligé de lourdes défaites à l’armée espagnole en coordination avec le sultan Mohamed V, fondateur des premiers jalons du Grand Maghreb Arabe, qui devait voir le jour à l’aube de l’indépendance du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Mauritanie.

Durant les années soixante, le conflit du Sahara a été mis sous cloche, en attendant la fin de la confrontation politique entre les partis politiques historiques marocains, la fin de la succession des coups d’État militaires contre la monarchie et la transition démocratique en Espagne, suspendue à la mort du dictateur espagnol, le général Franco, agonisant dans son palais à Madrid. Le roi du Maroc, Hassan II, a déposé une requête devant la Cour internationale de justice pour parachever l’indépendance totale du Sahara, après avoir récupéré, par voie de négociations, les villes de Tarfaya et de Sidi Ifni. Le Maroc a fait valoir les liens juridiques d’allégeance des chefs des tribus sahraouies aux sultans du Maroc, mais il s’est heurté à des notions juridiques ambivalentes, conçues et défendues par des juges européens, telle la souveraineté ou la puissance administrative, sans toutefois réfuter l’intangibilité du principe d’allégeance.

Le roi Hassan II lança la marche verte par l’envoi de 350 000 volontaires civils, hommes et femmes, armés du drapeau national et du Coran. Ce fut un coup de génie dont le monde entier lui en atteste : « récupérer un territoire de plus de 266 000 km², sans un coup de feu ». Le Maroc pensait, ainsi, régler le passif colonial en signant le traité tripartite, en 1976, avec l’Espagne et la Mauritanie. Mais les choses compliquées ne faisaient que commencer. Le contentieux colonial s’est transformé en conflit armé, impliquant les séparatistes sahraouis, l’Algérie de Boumediene, La Lybie du colonel Kadhafi et les pays satellites des camps communistes, inféodé à l’ex-URSS. Durant ce contexte géopolitique de guerre froide, le Maroc a réalisé des avancées significatives, mais a aussi subi des revers diplomatiques et militaires, sans toutefois renoncer à sa cause sacrée.

Le dossier fut géré par des hommes avec une main de fer, répartis en deux ailes. Celle des faucons, le général Ahmed Dlimi et le puissant ministre de l’intérieur Idriss Basri, qui considéraient que seule l’option militaire et sécuritaire peut protéger le Maroc contre ses ennemis. L’autre aile, celle des colombes, en l’occurrence, les conseillers politiques du palais, tels Ahmed Ben Souda, Ahmed Réda Guedira, Mohamed Charkaoui et le petit fils du sultan bleu, Mohamed Taqi Eddine Maae El Aynine qui considéraient que seules les options politique, diplomatique et juridique étaient de nature à parvenir une issue pragmatique à un conflit qui perdurait depuis des décennies. Parmi les colombes encore en vie, Mohamed Taqi Eddine Maae El Aynine. Un homme qui porte en lui les gènes de son grand père, le dernier des Mohicans, qui n’a cessé, depuis son jeune âge, de consacrer sa vie à la cause nationale de son peuple.

Souvent l’histoire des conflits politiques ou armés, opposant un pays existant juridiquement, à une puissance coloniale, puis, au fil de temps à un mouvement séparatiste, est particulière. Elle est écrite par les puissants, par les conquérants et par ceux disposant de notoriété académique. En parallèle, les véritables protagonistes ou contemporains du conflit sont relégués au second plan, car ne pouvant accéder aux données histographiques, aux traités inter-Etats ou aux tribunes diplomatiques qui font office d'instances d'arbitrage dans les conflits opposant les faits historiques aux postures juridiques ou politiques.

Le conflit au Sahara n'échappe pas à ce déterminisme idéologique qui régente les relations internationales où chacun dispose, à tort ou à raison, d'une version de la vérité à faire valoir pour rétablir son droit. Ainsi, l’État colonial espagnol a mis en avant le concept de Terra nullius (terre sans maître) comme principe juridique pour légitimer l'affirmation de sa souveraineté sur le Sahara occidental devant le Cour internationale de justice, compétente pour valider ou pas cette posture coloniale.

En face, le Maroc a fait valoir les liens intangibles d’allégeance, enracinée depuis des siècles, des tribus qui y vivent, en introduisant le Sahara dans la liste des territoires non-autonomes selon l'Organisation des Nations Unies depuis 1963. Plus tard, en 1975, la Cour de justice internationale a rendu un jugement plus juridique que politique. « Le Sahara occidental n'était pas une terra nullius lorsqu’il a été colonisé par l’Espagne en 1884, conformément au Traité de Berlin ».

Au milieu, le Front du Polisario, soutenu par l'Algérie de Boumediene, la Libye de Kadhafi et plus globalement, par les pays socialistes qui gravitaient autour de l'ex-URSS, a fait valoir le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ou leur droit a l'autodétermination. Une ordonnance juridique, imposée par les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale et disposant, désormais, du droit de veto et d’un siège permanant au Conseil de sécurité, qui a prolongé le droit international proclamé, lui-même, pendant la première mondiale par la Société Des Nations (SDN), après la première guerre mondiale et qui allait constituer l’ossature et le principe cardinal de la charte des Nations Unies en 1945.

Le Maroc s'est trouvé, en conséquence, au milieu d'un ensemble de déterminants et concepts juridico-politiques inédits dans la ligne directrice complexe des relations internationales. Les trois options (souveraineté, allégeance, autodétermination) s'affrontent et fluctuent selon les variations géopolitiques et en fonction de l'intensité de la guerre froide et selon les jurisprudences qui ne cessent d'évoluer. Par ailleurs, les données anthropologiques, ethniques, culturelles et sociétales de la population indigène ou d’autochtone ont rendu difficile, voire impossible, la prévalence ou l’applicabilité d'une des trois thèses sur les deux autres. 

L’absence de définition juridique et historique d'un peuple sahraoui homogène, adossé à un territoire délimité et marquant l'espace constituait le principal obstacle. Le sujet du conflit, marqué d'une empreinte politique, rend encore les trois thèses peu crédibles et discutables au niveau de l'interprétation juridique, quant à la véracité ou la pertinence du fait historique en tant que tel. Face à l'enlisement du contentieux, l’ONU a privilégié l'option du référendum comme porte de sortie qui s'est tout de suite refermée, faute de consensus sur les populations éligibles au processus électoral conduisant, soit à l'intégration définitive des sahraouis, dans le royaume, et in fine, sous la souveraineté marocaine, soit à l'indépendance du territoire, objet du différend politique, juridique et armé, et la proclamation potentielle ou envisagée de la  République arabe sahraouie démocratique.Ces deux versions binaires sont aujourd’hui rejetées par la communauté internationale et réorientées vers une option politique plus réaliste, plus viable et plus soutenue par le Conseil de sécurité.

Le Roi du Maroc, Mohamed VI, change de cap politique en 2007, en proposant une autonomie élargie sous souveraineté marocaine, inspiré des initiatives prises par les grandes démocraties telle, la France et la Grande-Bretagne, s’agissant des velléités séparatistes de leurs minorités culturelles, confessionnelles, linguistiques, anthropologiques ou territoriales. 

En toile de fond, un enjeu géopolitique et géostratégique, en l’occurrence, l'accès à l'océan Atlantique, le contournement géographique du Maroc pour le couper de sa profondeur géopolitique africaine. Depuis le retour du Maroc au sein de l'Union Africaine en 2016, le déploiement de sa stratégie africaine, appelée coopération sud-Sud, et le renouvellement de son logiciel diplomatique, plusieurs pays ont retiré leur soutien au Fond du Polisario, d'autres ont reconnu la marocanité du Sahara, d'autres ont ouvert des représentations consulaires dans les deux villes emblématiques, Laâyoune et Dakhla. En 2022, ce sont vingt neuf pays qui y disposent d'un consulat général.

Le coup de grâce fut porté par la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les États-Unis 2020, suite aux accords d’Abraham et le rétablissement des relations diplomatiques entre le royaume et l’État hébreu. Et tout récemment, l’Espagne, après une embrouille diplomatique avec le Maroc, a fini, en avril 2022, par reconnaître explicitement que la solution de l’autonomie élargie, sous souveraineté marocaine est la solution la plus plausible et, désormais, devenue la position officielle et irréversible de l’ancienne puissante coloniale et administrante du Sahara.